Quatre dessins, une eau-forte et deux peintures représentant le même motif : une belle suite pour évoquer la recherche artistique d’André Dauchez, du motif en plein air au travail en atelier. Cette suite donne un éclairage intéressant quant aux différentes étapes de son travail, mais quelques questions restent sans réponse quant à cette recherche : chaque lecteur aura sa propre interprétation !
Deux dessins préparatoires
Ces deux dessins à la mine de plomb (il faudrait plutôt parler de croquis) ont été récemment présentés dans une vente aux enchères (1) sous le titre Campagne bretonne. L’eau-forte et les peintures présentées ci-dessous sont respectivement datées de 1902 et 1903 : ces dessins remontent donc vraisemblablement au tout début du XXe siècle.


Dans ces dessins, André Dauchez étudie scrupuleusement la rangée de pins au premier plan, ne se préoccupant guère du paysage au second plan. Il n’est pas encore l’artiste talentueux qui sera plus tard reconnu pour ses représentations de pins maritimes, mais aussi de chênes, d’ormes, de châtaigniers, etc. Jusque-là, les arbres sont peu présents dans les gravures et peintures de Dauchez et se limitent à de lointaines silhouettes ou de grosses masses colorées, il n’en a pas fait le sujet de ces œuvres.
René Gobillot écrit dans la biographie André Dauchez, peintre et graveur (1937, Librairie Auguste Fontaine) : Dans sa jeunesse, ces derniers [les arbres] étaient pour lui une véritable terreur, tant il redoutait de n’en pouvoir rendre fidèlement la silhouette, la personnalité. Car chacun d’eux a sa vie propre qui tient à son essence, à son feuillage, à ses contours, à son ombre.
Et Gobillot rapporte ensuite ces propos de Dauchez : C’est si beau, les arbres, c’est si humain. On en fait le portrait.
Ces deux croquis sont manifestement l’esquisse d’un portrait de ces pins, étude préparatoire pour un beau paysage.
Un dessin à l’encre
Un petit dessin à l’encre est proposé sur E-Bay (2), sous le titre Paysage de Bretagne, où nous retrouvons la même rangée de pins au premier plan, le même paysage en arrière-plan : quelques maisons au pied d’un bosquet, une grande plaine s’étirant vers l’horizon.

Le dessin des pins est moins précis que sur les croquis précédents et devant le premier apparaissent deux silhouettes, esquissées de part et d’autre du muret. Ces personnages étaient-ils présents lorsque Dauchez a dessiné les premiers croquis sur le terrain, préférant se concentrer sur l’étude des pins ? Les a-t-il ajoutés par la suite en atelier pour donner vie à son paysage, renonçant à faire des pins le cœur de son motif ?
Un dessin au fusain
Ce fusain (3), de dimensions importantes, est un travail abouti dans lequel l’artiste a trouvé le juste équilibre entre les différentes composantes de son motif.

La rangée de pins structure fortement le paysage, poursuivant et achevant le travail des croquis préparatoires ; la ferme n’est plus qu’un détail mineur du second plan et passe presqu’inaperçue, précédant une vaste plaine qui s’étend sous un ciel tourmenté que le dessin à l’encre annonçait. Peu de détails sur cette plaine. Les lignes de fuite convergent harmonieusement vers la droite du motif, c’est un beau paysage que ce dessin nous montre.
Toutefois au premier plan, la présence des personnages est précisée, d’un côté le jeune paysan portant son outil sur l’épaule, de l’autre une femme qui peut-être garde son troupeau, ou ramasse du petit bois, peu importe. Dans ce dessin, Dauchez met en avant ces jeunes gens, et le motif devient une scène galante : c’est d’ailleurs sous le titre Couple de paysans dans les champs que ce fusain a été présenté à la vente.
Dauchez a-t-il hésité, entre un paysage pur, mettant en valeur les pins, et une scène animée ? Il semble n’avoir pas tranché, doutant peut-être encore de sa capacité à dessiner les arbres.
L’eau-forte
De ce motif, Dauchez réalise une gravure (240×330 mm), datée de 1902 dans le catalogue des eaux-fortes. La scène est fidèle au dessin précédent, dans des dimensions réduites ; elle est plus contrastée, du premier plan très sombre au second plan largement éclairé par un ciel nuageux et lumineux : à gauche, dans la partie supérieure, une large surface est restée vierge, sans trait de gravure, laissant au papier sa blancheur lors du tirage de l’épreuve.

Le troisième état de cette eau-forte est l’état définitif, tiré à quarante épreuves, exposées au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts, aux Peintres-Graveurs, à Reims, Lyon, Bordeaux, ainsi qu’à Londres, Hambourg, Bâle, Carlsbad, Vienne, Saint-Louis.
Une esquisse peinte
Le motif a été traduit en peinture dans plusieurs versions, dont cette esquisse (32,5×46,5), huile sur toile ayant appartenu à Lucien Simon, son beau-frère.
Dans le catalogue des peintures, elle est datée de 1903

Une huile sur toile
Une grande toile (116×81) est aussi peinte, exposée au Salon de la SNBA en 1903, à Düsseldorf et Liège. Elle est caractéristique de la période de la Bande noire, groupe d’amis (Cottet, Dauchez, Ménard, Simon…) qui rejetaient les couleurs claires de l’impressionnisme, également appelés les Nubiens. Ces peintres ne rejetaient pourtant pas systématiquement les couleurs claires, comme le montre cette toile lumineuse, mais cherchaient une autre représentation de la lumière, jouant sur les contrastes. Dans cette recherche, André Dauchez utilise une gamme de couleurs restreinte, excluant les tons vifs, il travaille les jeux d’ombre et de lumière que, dans ce tableau, il semble mettre en avant, plus que la rangée de pins, ou les personnages.

Ce tableau avait été acheté par un Bruxellois, M. Halot ; il est aujourd’hui conservé au MuMa Le Havre (4), legs de Charles-Auguste Marande (1858-1936), négociant et collectionneur d’œuvres d’art, à la Ville du Havre. Ce legs comprenait aussi deux études de Dauchez (Moulin de la Palue, Route vers la mer), ainsi que des tableaux de Renoir, Fantin-Latour, Boudin, Maufra, Corot, etc.
Il complète la collection Dauchez au MuMa : une eau-forte du legs Senn-Foulds (Le ruisseau de Groasken) et une série (Pins au bord de l’eau : dessin, eau-forte, étude sur bois, huile sur toile) achetée à l’artiste par la Ville du Havre.
Pour conclure…
Cette suite de dessins, eau-forte et peintures est intéressante à de nombreux points de vue. Elle est représentative de l’expression picturale de la Bande noire qui, pendant une décennie, s’est imposée dans les Salons et chez les critiques d’art.
Cette suite montre aussi le travail progressif d’André Dauchez, encore jeune artiste, vers une œuvre finale, et révèle peut-être ses interrogations et ses doutes, laissant à chacun de nous des choix d’interprétation.
Notes et crédits photographiques :
(1) : Leducq, Maison de vente aux enchères, 75009 Paris, vente du 27 juin 2025.
(2) : 2025, vendeur bal329, dimensions 9,5×15 cm.
(3) : Vente Aguttes / Drouot du 2 mai 2017, dimensions 49×64 cm.
(4) : Notice A 83, André Dauchez, Paysage, 1903, huile sur toile, 81,5 x 116,8 cm. Le Havre, musée d’art moderne André Malraux © MuMa Le Havre / Charles Maslard
Répondre à Jacques G. Annuler la réponse