La pointe de Combrit se situe à l’extrémité sud du hameau de Sainte-Marine dans le Finistère, sur la rive droite de l’Odet ; de l’autre côté de l’embouchure, Bénodet lui fait face. C’est un lieu qu’André Dauchez connaît bien, qu’il a fréquenté dans sa jeunesse lors de ses vacances chez ses parents à Kergaït, et plus tard, après que Lucien et Jeanne Simon ont acheté le Sémaphore de Sainte-Marine. Il y a réalisé de nombreuses œuvres, dessins, eaux-fortes, peintures, mais aussi photographies.
Photographie
Un cousin a récemment retrouvé chez ses parents un lot important de plaques de verre, photographies d’André Dauchez. Parmi ces plaques, une attire mon attention : c’est exactement le même point de vue que la photo ci-dessus, quelques pins en moins ! Et ce cliché correspond parfaitement à la peinture Pins à la pointe de Combrit, de 1918.
Dauchez est revenu exactement au même endroit quelques années plus tard, face à la pointe Saint-Gilles au sud de Bénodet ; sur la droite, au loin, la pointe de Mousterlin. Quelques troncs ont disparu, mais déjà de jeunes pins poussent au pied, ou en contrebas. Au premier plan, la lande qui semblait cultivée n’est plus entretenue.
Dessin à l’encre
André Dauchez a parfois utilisé ses clichés photographiques comme documents préparatoires pour des eaux-fortes ou des peintures, et c’est le cas ici, devant cette vue qui l’a inspiré. Il ne se dispensait pas pour autant de faire, sur le terrain, un ou plusieurs dessins à la mine de plomb ; nous n’en connaissons pas correspondant à ce motif, mais le Musée d’Art et d’Histoire de la Ville de Genève conserve un très beau dessin à l’encre « Plume et encre brun-noir, lavis brun, sur papier BFK Rives », que nous reproduisons ici avec l’aimable autorisation de Madame De Donker, Conservatrice Arts graphiques (© Musée d’art et d’histoire, Ville de Genève, photographe : André Longchamp, n° d’inventaire D 2015-0037)
Le dessin est fidèle à la photo (coupée sur la gauche) : nous y retrouvons les grands pins et leurs branchages, mais aussi les plus jeunes pins, les taillis, la lande qui se reconstitue… En face, la pointe Saint-Gilles est fidèlement reproduite. Le ciel semble toutefois plus chargé sur le dessin que sur la photo : est-ce une évolution des nuages durant la séance de travail ? Est-ce un effet choisi par l’artiste ? « Quelquefois je me permets pour balancer la composition générale, de figurer un moutonnement de nuage supplémentaire ou de forcer une ombre dans un coin, mais c’est tout à fait exceptionnel et la grande harmonie naturelle ne doit pas s’en apercevoir. » (André Dauchez, 1926)
De la photo au dessin, deux petits bateaux en plus. Sont-ils passés pendant que l’artiste travaillait ? Les a-t-il ajoutés ? Sont-ils de retour de pêche, ou reviennent-ils d’une promenade en mer ? Peu importe, ils n’occupent qu’une petite partie du dessin, mais du paysage un peu triste et figé de la photo, Dauchez fait un dessin vivant !
Étude sur bois
Sur le terrain, André Dauchez peignait aussi, rapidement, une petite étude lorsqu’il projetait de réaliser ensuite une toile en atelier. Complémentaire aux dessins, elle lui permettait de fixer les couleurs et la lumière, sans s’attacher aux détails du motif. Cette étude nous montre que, malgré un ciel chargé, le soleil perce largement à travers les nuages, éclairant généreusement un paysage contrasté d’ombre et de lumière. Détail par rapport au dessin, un seul bateau figure sur l’étude, celui qui est le plus proche ; l’étude n’est pas très précise, mais on remarque que ce bateau est différent, par sa position ou par son gréement, du bateau figurant sur le dessin.
Cette étude a été exposée à l’American Womens Club et au Salon des Peintres de la Mer, d’après le catalogue des peintures.
Huile sur toile
Penchons-nous maintenant sur la toile ; comme sur l’étude, le paysage est ensoleillé, malgré un ciel bien chargé de lourds nuages bas, plus proches de ceux du dessin que de l’étude. Sur la droite, un troisième bateau apparaît au bout de la pointe Saint-Gilles.
Ce tableau de 1918 a été exposé au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts, au printemps de la même année. La guerre n’est pas finie et, dans un esprit d’union nationale, les deux Sociétés rivales, Artistes français et Nationale des Beaux-Arts, exposent pour la première fois ensemble, au profit d’œuvres de guerre et de bienfaisance. Cette exposition, inaugurée le 30 avril 1918 par le président de la République et organisée sous le patronage de la Ville de Paris, se tient au Petit-Palais : le Grand-Palais, qui hébergeait les deux Salons depuis 1901, a été transformé en hôpital militaire. La place disponible est moindre, le nombre de tableaux exposés est réduit : Dauchez n’en présente qu’un, Pins à la pointe de Combrit.
Ce tableau est bien accueilli par la critique :
« Dauchez, appliqué et tenace » Louis Vauxcelles, 1er mai 1918, Excelsior
« M. Dauchez nous emmène à la Pointe de Combrit devant un alignement de pins d’un dessin solide et de puissant relief. On sait que M. Dauchez a une manière personnelle et rude, fort estimée, et qu’il est un de nos rares paysagistes offrant du caractère. » Eugène Soubeyre, mai 1918, La Nouvelle Revue
« Comment nommer tous les beaux paysages : le Dauchez, si grand, si plein d’air, de soleil, […] » Jacques des Gachons, 15 juin 1918, Je sais tout. Une reproduction du tableau illustre l’article.
Gravure
Trois ans plus tard, en 1921, Dauchez reprend le même motif, à l’eau-forte. Cette gravure est fidèle à la toile : on retrouve le même ciel chargé. Le troisième bateau, sur la droite, n’est pas repris, et les deux autres ont un peu changé de position.
Dans le catalogue des eaux-fortes, André Dauchez indique pour l’état définitif (troisième état) : « retouche de l’eau après quelques épreuves » ; il est rare que le catalogue fasse mention de retouches de l’état définitif. Le tirage initial est prévu à 40 épreuves, puis réduit à 30 (la réduction du nombre d’épreuves est assez fréquente).
Le catalogue mentionne trois expositions (exposition de la Gravure originale en Noir, à Paris ; Chicago ; Rennes), mais on trouve parmi les acheteurs un Argentin, un Brésilien, le Japonais Usui (qui rendait visite à André Dauchez à Paris), et quelques noms anglo-saxons…
Retrouvailles
En 2021, l’exposition au Fort de Sainte-Marine a pu présenter côte à côte, parmi une centaine d’œuvres, une épreuve de l’eau-forte, la toile et l’étude. Nous étions à quelques pas de l’endroit où le peintre avait posé son chevalet !
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