André Dauchez, le tir à l’arc et les Jeux Olympiques

Les Jeux Olympiques 2024 me donnent l’occasion d’évoquer une activité sportive chère à André Dauchez. J’ai déjà cité sa passion pour la navigation, participant l’été à de nombreuses croisières et régates en Bretagne ; nous savons que c’est à pied ou à vélo qu’il parcourait la côte et la lande en quête de motifs.
Jean-Gabriel Goulinat écrit à propos de son ami en 1938 : « Il était naturel qu’une jeunesse robuste se reflétât dans ses toiles et ses gravures alors que, jeune lui-même, il partageait sa vie entre son travail et les sains exercices physiques auxquels sa force naturelle lui permettait de s’adonner, en véritable athlète. »
A Paris, André Dauchez pratique un autre sport : le tir à l’arc.

La Compagnie Saint-Pierre Montmartre

André Dauchez était membre de la Compagnie Saint-Pierre Montmartre, une vieille Compagnie d’archers parisienne, installée sur la colline de Montmartre au début du XIXe siècle. Les constructions immobilières à Montmartre, annexée par Paris, forcent la Compagnie à déménager en 1891 : elle s’installe à Clichy-la-Garenne.
J’ignore quand et comment l’artiste a débuté cette activité sportive. Un certificat conservé dans les archives familiales indique qu’il est reçu Chevalier dans cette Compagnie en janvier 1907. Quelques mois plus tard, en juillet, il reçoit un Diplôme d’honneur pour son classement au 10e Championnat de France.

En février 1908, Dauchez reçoit le titre de Roi de sa Compagnie : « L’oiseau est tombé à la 7ème flèche, sous celle du chevalier Dauchez, qui a été aussitôt reconnu Roi pour la présente année. » En juin 1908, il reçoit un nouveau Diplôme d’honneur au 11e Championnat de France.

Au sein de sa Compagnie, Dauchez entretient des liens amicaux, notamment avec M. Orset, ouvrier-graveur, qui aide parfois l’artiste à tirer ses eaux-fortes. Quelques documents originaux de la Compagnie indiquent que M. Orset père est 1er Lieutenant de la Compagnie, ce qui laisse supposer qu’un fils en serait aussi membre. Vers 1910, Dauchez invite Orset (père ou fils ?) à venir séjourner en Bretagne : ils pratiquent le tir à l’arc sur la plage, peu fréquentée à l’époque.

La Compagnie Saint-Pierre Montmartre existe toujours, à la même adresse à Clichy ; l’ayant interrogée quant à d’éventuelles archives, je n’ai pas encore reçu de réponse.

Le tir à l’arc en Bretagne et en famille
André Dauchez pratique aussi le tir à l’arc en Bretagne, comme je l’ai évoqué à propos de son ami Orset.
A Bénodet, dans la ferme de Kerlidou achetée par son père, un pas de tir a été installé.

A. Dauchez à Kerlidou

Puis les enfants grandissent, et, dans les années 1920, le tir à l’arc devient un loisir partagé en famille et avec des amis, souvent évoqué dans les lettres qui ont été conservées.

A. Dauchez et ses filles

Lettre de Philippe à son père, pendant son service militaire à Rochefort : « Le souvenir des belles matinées de calme éveille toujours en moi l’idée de joyeuses et palpitantes parties de tir à l’arc. C’est un sport que je regrette bien de ne pouvoir pratiquer ici, il y a de bien beaux emplacements bien abrités. Il ne manque que des cibles qu’il serait assez aisé de fabriquer, et des outils. »
La maison de la Palue, en Bretagne, abonde d’images de Saint Sébastien, patron des archers, encore accrochées aux murs, et plusieurs arcs y sont encore présents.

Quelques arcs dans la maison de la Palue


Les Jeux Olympiques
Et les Jeux Olympiques, alors ?
Guillaume, deuxième fils d’André Dauchez, écrit dans ses mémoires, à propos du tir à l’arc : « Mon père y devint de plus en plus adroit et à ce titre il représenta la France aux Jeux Olympiques de Londres. »
Il est aisé de trouver qu’il s’agit de la IVe Olympiade, qui s’est tenue en 1908. Les Jeux étaient prévus à Rome, mais une éruption du Vésuve en 1906 amena l’Italie à renoncer à les organiser, et Londres fut choisie comme ville d’accueil : à la même période (mai-octobre 1908) était déjà programmée l’Exposition franco-britannique, destinée à célébrer l’Entente cordiale, signée en 1904 entre la France et le Royaume-Uni.
Je cherche alors sur internet les membres de la délégation française de tir à l’arc pour ces Jeux de 1908, et parmi les archers, je trouve Albert Dauchez ! Diantre ! Ce nom figure sur le site officiel du CIO, et d’autres sites comme Wikipédia, qui ont dû y piocher leurs informations.
J’interroge donc le CIO pour connaître les documents comportant ce nom. Une réponse arrive très vite, de M. Axel Testuz, Research Coordinator, Olympic Foundation for Culture and Heritage, The Olympic Studies Center : « Le nom d’Albert Dauchez que nous avons dans notre base de données des résultats vient très probablement de travaux effectués par des historiens olympiques il y a quelques années de cela. Le rapport officiel des Jeux de Londres 1908 ne donne en effet pas de précision sur les prénoms des athlètes. Nous serions ravis de pouvoir corriger cette erreur. Vous pouvez donc, si vous le souhaitez et si cela vous est possible, nous transmettre une copie de vos archives confirmant sa participation en 1908. »
Ce rapport officiel des Jeux de Londres 1908, rédigé par Theodore Andrea Cook, ne mentionne effectivement que « M. Dauchez, Cie St-Pierre Montmartre ».

Les documents présentés au début de cet article attestent qu’André Dauchez était membre de la Compagnie Saint-Pierre Montmartre en 1908 ; y aurait-il eu, la même année, un Albert Dauchez, également membre de cette Compagnie ? C’est tout-à-fait improbable.
Par ailleurs, je constate que le site du CIO ne donne aucun renseignement sur Albert Dauchez (dates de naissance et de décès, profession, résidence, etc.) alors que des informations sont indiquées pour la plupart des athlètes. Albert Dauchez est donc probablement un fantôme. Espérons que les documents fournis à M. Testuz permettront de corriger cette erreur.

Venons-en maintenant aux épreuves elles-mêmes.
Dans un article paru dans Le vrai Chevalier – Organe de Compagnies d’arc, en date du 31 juillet 1908, M. Oscar Jay, Capitaine de la Compagnie Saint-Pierre Montmartre, Président de la Fédération d’Île-de-France, et qui accompagne la délégation française, donne de nombreux détails sur la sélection des archers, leur voyage à Londres et le déroulement des épreuves. J’en reprends quelques extraits ci-après.

Une sélection est faite parmi les meilleurs archers de France, établissant une liste de 24 noms : « […] nous avons invité à faire partie de l’équipe française les chevaliers qualifiés par leurs classements dans les Championnats, ceux d’entre eux qui avaient le mieux réussi dans les Concours sur cibles anglaises de Pierrefonds (1901), du Touquet (1904), de Compiègne (Flèche d’or : 1905-1906), ceux qui faisaient partie de l’équipe française dans le match franco-suisse de 1907, et surtout, en première ligne, ceux qui s’exerceraient sur les distances anglaises. »
Dans cette sélection, nous trouvons « M. Dauchez, de St-Pierre Mont. »
A la suite de désistements, la liste définitive est établie : « Le 29 juin, nous avons envoyé à la « British Olympic Council », les engagements de MM. Aubras, Baudouin, Berton, Cabaret, Dauchez, Fisseux, Grisot, Hardier, Poupart, Quervel, Richez, Vallée, Verne, Comte de Bertier, Delacroix et Jay, – ces trois derniers, non comme champions, bien entendu, mais engagés tout de même pour le 50 mètres et dirigeant l’équipe française. »
Les archers partent le 16 juillet au matin à bord du paquebot Le Nord, de la Compagnie des Chemins de fer du Nord, qui assure la traversée de Calais à Douvres. Cette traversée se fait par une météo épouvantable : pluie diluvienne et vent furieux sont au programme !

« Mais, bravant la tempête, nos camarades voulurent quand même rester sur le pont ; on loua aux matelots des manteaux, des capotes cirées, goudronnées, pour la plupart vieilles et rapiécées, et nos champions avaient là-dessous, – quelques-uns aussi avec des chapeaux cirés tout cabossés – l’air de vieux loups de mer en convalescence, ou de corsaires dans la purée. […] Il fallait voir l’équipe sous ces accoutrements, c’était à se tordre ! … […] En dépit des éléments déchaînés, nos archers riaient, plaisantaient et s’amusaient, sur mer, comme des petites baleines ; ils allaient exprès à l’avant, en trébuchant à chaque pas, pour recevoir les paquets d’eau de mer. Grisot encaissa, le premier, une formidable douche et revint inondé. »
Enfin, les passagers débarquent à Douvres, toujours sous la pluie, et prennent le train pour Londres ; ils sont conduits à l’Hôtel Tudor, où ils resteront cinq jours. Les épreuves commencent le lendemain.
Le tir à l’arc a été introduit pour la première fois aux Jeux de Paris en 1900, et revient en 1904 (Saint-Louis), 1908 (Londres) et 1920 (Anvers) ; cette discipline est ensuite supprimée jusqu’en 1972 (Jeux de Munich).  Au début du XXe siècle, il n’existe pas de fédération internationale pour réglementer cette discipline : c’est le pays hôte qui choisit les épreuves disputées.
En 1908, les Anglais choisissent ainsi trois séries d’épreuves : le York Round (hommes), le Continental Style (hommes) et le National Round (femmes). La délégation française d’archers, ne comprenant que des hommes, ne participe pas au National Round.

Le York Round
M. Jay raconte : « Le lendemain 17, premier jour de concours du York Round : 72 flèches à 100 yards, 48 flèches à 80 yards et 24 à 60 yards, avec 3 flèches. […] La pluie, l’horrible pluie tombe toujours, et, sur la vaste pelouse nue du stade, il semble que le vent ait encore augmenté d’intensité, il souffle en tempête… qu’est-ce que les flèches vont prendre ?
Il ne peut être question ni d’attendre, ni de remettre le concours, le stade étant, chaque jour, successivement occupé par les divers sports ; l’horaire, établi pour chaque épreuve, est inexorable, et il faut, bon gré, mal gré, commencer.
Mais les rafales de pluie sont, à tout moment, si violentes, que le tir est interrompu par six arrêts, pendant lesquels les concurrents se réfugient sur les gradins abrités du stade, et nous n’avons vraiment pas chaud !
Bien que la plupart de nos camarades se soient pourvus, pour le York Round, d’arcs plus forts que leurs arcs habituels, ces arcs sont encore beaucoup trop insuffisants. Sur 100 et 80 yards, en raison de l’énorme trajectoire de leurs flèches, celles-ci sont prises comme des fétus dans cette tempête de vent et de pluie.
Nos confrères anglais, d’ailleurs habitués à ces trois distances qui leur sont familières, sont, en outre, beaucoup mieux armés, avec leurs arcs en bois d’if, d’une seule pièce, plus courts et plus fermes que les nôtres, avec leurs flèches plus résistantes et à très courtes plumes. Ils obtiennent une trajectoire trois fois moins élevée et ont beaucoup moins à souffrir du vent.
Le lendemain, deuxième épreuve du York Round, à la même heure. Même temps que la veille, pluie moins continue, mais vent peut-être plus fort encore. Les cordes, les flèches saturées d’eau par la pluie de la veille, rendent encore moins… et nos hommes n’ont pas, comme les Anglais, des provisions de flèches de rechange. Il y eut encore trois arrêts pour se mettre à l’abri.
Qui eut pu prévoir un temps pareil en plein mois de juillet ?
La violence du vent était telle, que les tableaux de marque, appuyés contre le pied des cibles, à terre, étaient à tout instant, renversés ; la plupart de nos tireurs étaient obligés de viser dans la cible voisine pour arriver dans la direction de celle qui leur était assignée ; mais les bourrasques étant plus ou moins fortes, on ne pouvait calculer la dérive qu’au petit bonheur. C’est ainsi que Richez eut une flèche ramenée par la dérive dans le 7 de sa cible, mais la force du vent fit qu’elle cassa net au-dessous des plumes, en entrant dans la cible ; le bout étant resté, le point lui fut compté.
Les résultats de ces épreuves furent, dans ces conditions, ce qu’ils devaient être : bien meilleurs pour les archers anglais et américains que pour les nôtres. […] Il eut certainement été possible aux Français d’obtenir un classement bien meilleur, par un temps normal ; mais ils n’avaient aucune chance, avec leur outillage très inférieur, pendant ces deux jours de pluie et surtout de vent furieux. »
L’auteur de l’article, M. Jay, rappelle ensuite les résultats obtenus par Richez et Dauchez lors d’entraînements à Saint-Ouen, comparables aux scores des archers anglais à Londres.
Sur le podium, les médailles d’or et d’argent reviennent à deux Anglais, celle de bronze à un Américain ; suivent douze archers anglais ; le premier français (Henri Berton) est 16e au classement, Dauchez est 23e (6e de la délégation française).

Tir à l’arc aux JO de Londres en 1908, Bibliothèque du CIO

« Le dimanche, comme on sait, tout est fermé à Londres (l’Exposition n’était même pas ouverte). Nous avons fait une intéressante excursion à Hamptoncourt. »

Le Concours à 50 mètres (Continental Style)
M. Jay poursuit son récit : « Le lundi 20, concours à 50 mètres, en 20 haltes. En arrivant au stade, il pleut encore ; mais nous constatons que le vent s’est sensiblement apaisé.
A 10 heures, les premières flèches sont lancées ; la première passe à 2 mètres au-dessus de la cible. Au retour, les tireurs baissent la main, mais ils sont encore à 1 m. 50 par-dessus ? Stupéfaction !… Ils visent encore plus bas pour la 3e flèche : toujours au-dessus ! Ce n’est pas possible, il y a erreur sur la distance ? Delacroix arpente, au pas, le terrain, et déclare qu’il n’y a que 45 mètres environ du but à la cible. On fait part de cette erreur évidente à M. le colonel Walrond, qui fait aussitôt venir les hommes de service du stade ; on vérifie la distance à l’aide d’un décamètre, et l’on constate que les cibles sont placées, non pas à 50 mètres, mais à 50 yards (45 m. 70).
Arrêt pour réinstaller les cibles à la distance régulière ; les trois premières flèches sont annulées, et le tir recommence.
Cette fois, nos tireurs se retrouvent et commencent à montrer leur savoir-faire. Hélas ! voici encore la pluie ! on persiste, mais à la 7ème halte, l’eau tombe si abondamment qu’il faut interrompre le tir et se mettre à l’abri pendant 20 minutes.
Le tir est ensuite repris, sans arrêt. […] C’est une victoire française, et même une triple victoire, car les trois médailles olympiques attribuées à ce Concours sont enlevées par Grisot, Vernet et Cabaret. […] »
Les huit places suivantes sont encore occupées par des Français, Dauchez étant 6e au classement général de cette épreuve. Le premier Anglais est à la 12e place, le 1er Américain est 15e.
« […] et nous sortons enfin de ce stade où nous avons reçu tant d’eau pendant trois jours et souffert d’un vent à décorner les bœufs ! »

Dessin d’André Dauchez, 1908


Le tir à l’arc, avant tout un divertissement

Après cette participation, somme toute honorable, André Dauchez ne tentera plus l’aventure olympique, faisant du tir à l’arc avant tout un loisir familial et un divertissement. Le journaliste Marcel Spaeth, que Dauchez reçoit dans son atelier en 1926, termine ainsi la relation de cette rencontre : « […] Avant de prendre congé nous souhaitons au Maître de goûter pleinement le repos bien gagné par un labeur aussi considérable. « Me reposer, dit-il entre deux bouffées de cigarette. Je n’en ai pas le temps. Songez que je dois faire figurer au prochain salon cinq toiles importantes, qui sont loin d’être terminées. Après seulement je pourrai me divertir un peu en tirant de l’arc, mon sport favori, et puis j’irai retrouver mon émouvante Bretagne. » La Pensée française, 22 mars 1926, Marcel Spaeth

Quelques images de Saint Sébastien dans la maison de la Palue :

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