Lanhuron se situe sur la commune de Gouesnac’h, rive gauche de l’Odet. C’est un coin du Finistère qu’André Dauchez affectionnait particulièrement : il y est venu toute sa vie chercher de nouveaux motifs. Attardons-nous ici sur un de ces motifs, dont l’artiste a réalisé plusieurs versions.
Ce tableau d’un format ambitieux (130×174) est la reprise d’un motif précédemment peint en 1917, aux dimensions plus petites.
Typique de l’art d’André Dauchez, il montre une ligne de pins se dégageant sur un ciel légèrement ennuagé. Le soleil est tout de même bien là, éclairant généreusement le motif ; il est probablement dans le dos du peintre, puisque nous ne voyons pas, au sol, l’ombre des pins. Lumière de l’après-midi, donc. L’Odet est calme, le reflet des pins dégage une grande sérénité. Une femme passe au coin du muret, une Fouesnantaise probablement, accompagnée d’un enfant. Rentre-t-elle chez elle ? Est-elle venue chercher des fagots pour la cuisine.
Ce tableau a été exposé à Pittsburgh (Carnegie Institute) en 1923, et acheté par Monsieur S. G. Hindes, de San Francisco, d’après les indications de Dauchez dans son catalogue des peintures. Nous ne savons pas qui était cet acheteur, également propriétaire d’une autre toile et d’une eau-forte. Qu’est devenu ce tableau pendant le siècle qui a suivi ? Nous ne le savons pas non plus, mais nous le retrouvons dans une vente aux enchères en octobre 2022 à Oakland, Californie. Dans les dernières minutes, les enchères s’emballent, et c’est un Français qui l’emporte !
Dessin teinté
Le catalogue des peintures indique différentes versions, dont ce « dessin teinté » (97×130). Même motif, même atmosphère sereine et lumineuse… Un style différent, puisque cette huile est un dessin teinté : les contours, des pins notamment, sont nettement marqués. Au second plan en revanche, sur la droite (fond de l’anse de Porz Garo), les arbres sont moins dessinés, juste esquissés par la masse de leur feuillage ocre.
Ce tableau, longtemps resté dans la famille de l’artiste, est maintenant conservé au musée des Beaux-Arts de Quimper, don d’un petit-fils d’André Dauchez en 2017 (photo : J.-J. Banide, Musée des Beaux-Arts de Quimper).
Sur le site du musée, la notice de l’œuvre indique : « D’un format ambitieux, cette huile décrit un bosquet extrêmement gracieux de pins qui borde la pointe de Lanhuron. Ce site, situé sur la commune de Gouesnach, est célèbre pour cette espèce de terrasse naturelle de pierre blanche que l’on distingue parfaitement sur la toile. Le charme de ce site naturel est amplifié par la présence des eaux changeantes de l’Odet qui se prêtent à de multiples reflets. Parfaitement représentative du style de Dauchez, cette composition, bien équilibrée, présente ce souci graphique, reconnaissable entre tous, qui caractérise le meilleur de ses créations. Le dessin des pins, finement cernés, apparaît comme un leitmotiv dans nombre de ses gravures et traduit une fascination partagée avec les graveurs japonais ou Henri Rivière pour cet arbre au port si ornemental. »
Deux dessins à la mine de plomb
Ces dessins illustrent la méthode de travail d’André Dauchez : sur le motif, il réalise un ou plusieurs dessins, parfois une petite étude peinte. Nous retrouvons ici deux dessins préparatoires, l’un à grands traits, le second plus affiné ; nous n’avons pas de copie de l’étude (format 24×33, achetée à l’artiste par le galeriste et collectionneur italien Angelo Sommaruga).
Une photographie
Nous savons qu’André Dauchez complétait parfois ses dessins et études préparatoires par des clichés photographiques. Le cliché ci-dessus paraît très proche du tableau, mais présente quelques écarts : la hauteur de la marée, l’angle de vision, le cadrage. Il permet néanmoins d’apprécier la justesse du dessin : l’artiste reproduisait fidèlement ce qu’il observait.
La Mer dans les bois, livre illustré
André Dauchez illustre ce texte d’André Chevrillon en 1928. Le sujet du livre est l’Odet, qu’il a déjà si souvent dessiné et peint : parmi les soixante-dix-sept gravures de l’ouvrage se côtoient motifs nouveaux et motifs anciens, retravaillés pour ce livre. Ici, le motif original des Pins à la pointe de Lanhuron est coupé sur chaque côté, pour s’adapter aux dimensions de la page, un format classique « à la française ».
Dauchez a lui-même édité ce livre, et en a assuré la commercialisation. Pour remercier certains acquéreurs, l’ouvrage est parfois enrichi de tirés à part des eaux-fortes, ou de dessins préparatoires, et parfois d’aquarelles.
Nous avons là une belle et riche déclinaison du même motif, à travers différentes étapes de son travail, et différentes techniques, de 1917 à 1928.
Pour conclure, laissons la parole à André Dauchez :
« Voyez-vous, dit-il, le secret pour tendre vers une œuvre forte et vraie est de se sentir humble devant la nature. N’essayez pas de faire le malin avec elle, car vous seriez fichus. Elle est plus forte que vous. » Puis il ajoute à mi-voix, comme s’il avait peur d’être entendu : « Je dois cependant vous confesser qu’il m’arrive de ruser pour obtenir tout ce qu’on peut attendre d’elle. Je vais tout d’abord la surprendre chez elle, dans ses replis les plus intimes, là où la solitude est la plus complète et l’étendue la plus lointaine. Ce n’est d’ailleurs pas facile d’y arriver et je suis obligé, la plupart du temps, de faire appel à mes connaissances de la navigation. Je pars le matin en bateau – car vous voyez que presque toutes mes toiles sont prises dans cette Bretagne si sauvage et si diverse que j’aime tant – et je me dirige au gré de l’aventure. Je ne montre aucune velléité de dérober un spectacle ; je dirige subrepticement mon yacht dans une cavité déserte, je m’insinue dans une échancrure de la côte et tout à coup je surprends une composition admirablement ordonnée, telle que nulle imagination humaine n’en saurait inventer. Alors, saisissant ma palette, je fixe aussi vite que possible et sans m’occuper du dessin, la couleur qui étale devant moi sa magnificence, l’atmosphère qui m’emplit d’une sorte d’ivresse, toute la vie en un mot qui palpite dans les arbres, dans les eaux, dans les ciels. Je n’ai plus ensuite qu’à prendre aussi minutieusement que je le puis, avec le crayon cette fois, le squelette de mon sujet, je reporte sur le papier avec une précision rigoureuse et sèche tout ce que je vois, et, le soir, je rentre chez moi, heureux d’avoir pu soustraire les documents qui me permettront de reconstituer à l’atelier, pendant l’hiver, les tableaux que je vais exposer. Ces toiles sont la reproduction fidèle de ce que j’ai vu. Rien n’a été omis, rien n’a été ajouté. Quelquefois je me permets, pour balancer la composition générale, de figurer un moutonnement de nuage supplémentaire ou de forcer une ombre dans un coin, mais c’est tout à fait exceptionnel et la grande harmonie naturelle ne doit pas s’en apercevoir. » Propos recueillis par Marcel Spaeth, 22 mars 1926, La Pensée française.
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