Henriette CRESPEL (1874-1958)

Jeune sœur d’André Dauchez, Henriette Crespel fait aujourd’hui partie des nombreux peintres du début XXe siècle tombés dans l’oubli. Son talent n’était pas avant-gardiste, mais elle avait su développer un style très personnel et bénéficiait d’une reconnaissance certaine dans le milieu artistique ; les critiques de l’époque ne restaient jamais indifférents !
Le cent-cinquantième anniversaire de sa naissance est l’occasion de s’intéresser à elle et à son œuvre.

Berthe Marie Henriette Dauchez est née le 17 mai 1874 à Paris (12 rue Perronet, 7e) ; elle épouse le 24 octobre 1893 Raphaël Crespel (1868-1941), propriétaire agriculteur à Duisans (Pas-de-Calais).
Le couple aura trois enfants : Robert (1894-1917), mort pour la France à Saint-Dié ; Renée (1897-1987) ; Aline (1898-1915), morte de la tuberculose.
Leur fille Renée, elle aussi peintre (elle exposera à la Société nationale des Beaux-Arts), épouse en 1934 un Américain, Pierre Cornell-Dechert, avec qui elle s’installe aux États-Unis : la descendance d’Henriette Crespel est américaine.
D’après les catalogues de la Société Nationale des Beaux-Arts, les Crespel habitent au château de Duisans, puis à Neuilly jusqu’en 1910 ; en 1911, Henriette Crespel est domiciliée à Paris, rue Cassette (6e). Le mariage est dissous par jugement du 10 février 1920
.De ses parents, Fernand et Claire Dauchez, Henriette a hérité la ferme de Kerlidou à Bénodet, où elle revient régulièrement l’été. Elle vend Kerlidou et fait construire en 1926 une maison, Poultrénic, au-dessus du port de plaisance actuel de Bénodet, sur un grand terrain où poussent pommiers, framboisiers, etc.
En 1927-1928, elle fait un long voyage au Japon d’un an et demi, avec sa fille Renée.
Henriette Crespel, surnommée Tante Zézette, décède le 9 février 1958 à Cavalaire-sur-Mer (Var).

Pommes, 45×120

Henriette Crespel a pratiqué essentiellement l’aquarelle, et ses thèmes préférés étaient les natures mortes, fleurs, fruits, etc., avec un réel talent décoratif. Les catalogues de la SNBA ne mentionnent pas d’École, ni de professeur : peut-être a-t-elle suivi les conseils familiaux de ses aînés, André Dauchez, Jeanne et Lucien Simon… Elle n’a jamais cherché à les imiter, ni dans le style ni dans le choix des motifs ; membre de plusieurs sociétés artistiques, sa carrière recoupe parfois celles de ses aînés, mais elle a aussi fait preuve d’indépendance et bénéficié de son vivant d’une vraie reconnaissance.
L’État s’est porté acquéreur de quelques œuvres, aujourd’hui conservées dans les musées de Cognac en Charente (Tomates) et Saint-Maur-des-Fossés dans le Val-de-Marne (Corbeille de dahlias ; Vase de fleurs). Ces œuvres ne sont pas présentées sur les sites de ces musées. Les œuvres reproduites ici sont toutes issues de collections privées.

Les informations qui suivent sont avérées par la presse de l’époque, mais ne sont probablement pas exhaustives : l’absence d’articles de presse ne permet bien sûr pas d’affirmer l’absence d’activité.
La Société Nationale des Beaux-Arts est un fil conducteur dans la carrière artistique d’Henriette Crespel. Elle y expose dès 1895, est élue Associée en 1896 (année où son frère André devient Sociétaire), et Sociétaire en 1911 (en même temps que sa sœur Jeanne). Elle est membre du jury en 1913 et 1930. Elle expose au Salon de la SNBA quasiment tous les ans, au moins jusqu’en 1931. En 1937, Henriette Crespel participe au Groupe indépendant de la Nationale, créé par André Dauchez, entraînant une scission de la SNBA.
Henriette Crespel est aussi membre de la Société internationale de la peinture à l’eau, où l’on retrouve Lucien Simon, Walter Gay, Gaston Latouche, Albert Besnard, Francis Auburtin… elle y expose régulièrement de 1905 à 1922.

Plus occasionnellement, elle participe à l’exposition annuelle des Femmes artistes de 1901 à 1906, à l’exposition des Quelques en 1907 et 1908, au Salon d’Automne en 1909, au Salon des Arts de la Femme en 1911, L’Art du Jardin en 1913, L’Art décoratif féminin en 1918 (avec Jeanne Simon, sa sœur, et Charlotte Aman-Jean, sa nièce), L’Art féminin en 1919, Les Femmes artistes modernes en 1931 et 1932.
Comme beaucoup d’artistes lors de la guerre de 1914-1918, elle participe à la Tombola des Artistes en 1915, ou à l’exposition au profit des œuvres de guerre en 1918.
Une exposition personnelle lui est consacrée en 1928 à Paris, Galerie A. Barreiro, rue de Seine.
Enfin, Henriette Crespel participe en 1928 et 1930 aux expositions du Lap à Antony. Le Lap est un dérivé du ciment inventé et breveté par son amie Speranza Calo Séailles, cantatrice et artiste peintre, et son mari Jean Charles Séailles, ingénieur et administrateur de sociétés. Utilisé en art décoratif, le Lap a connu un réel succès dans les années 1920, attirant des dizaines d’artistes, peintres, sculpteurs, décorateurs et architectes.
A l’étranger, Henriette Crespel a exposé à Liège (Exposition internationale, 1905), à Vienne (Sécession, 1910), à Gand (Exposition universelle, 1913).

Certaines expressions reviennent régulièrement dans les commentaires des critiques de l’époque, que l’on peut regrouper autour de quelques thèmes qui semblent bien définir l’art d’Henriette Crespel.
Tout d’abord, la vigueur, exprimée dans de nombreux commentaires, par des termes tels que « viril », « nerveux », « vigoureuses », « énergie », « vivacité », « ampleur », « robuste », « ferme », « franchise », « puissantes » …
Ensuite, la maîtrise des couleurs : « fins coloris », « unit le dessin et la couleur en un équilibre parfait », « coloriste habile », « raffinement extrême de la palette » …
Puis l’originalité : « vision très personnelle », « études très particulières », « le talent le plus original », « jamais banale », « originalité harmonieuse », « franche personnalité », « pittoresque » …
Enfin, les critiques soulignent le talent décoratif d’Henriette Crespel : « goût exquis », « puissant effet décoratif », « goût distingué », « conception ornementale », « sens naturel du décor », « réelle valeur décorative », « un sens parfait de l’arrangement décoratif et de la couleur », « grand charme décoratif », « somptueusement décorative » …

Lisons quelques lignes de ces critiques…

« Les objets d’art aux Salons de 1896 – Le temps me presse et je le regrette, car j’aurais désiré parler en détail des virils panneaux de Mlle Crespel, qui comprend à ravir et avec une justesse absolue la décoration. » Frantz Jourdain, 1896, La Grande dame, revue de l’élégance et des arts

« Il y a beaucoup d’aquarelles, rue de Sèze, dont quelques-unes sont exécutées avec une véritable virtuosité. Celles de Mme Crespel, ses Pétunias, ses Etudes de tomates, ses Pensées, conçues dans un sentiment décoratif original, nous plaisent beaucoup. » Laertes, 19 janvier 1901, La Dépêche

« Mme Crespel montre sous le nom d’Automne un fouillis assez bizarre, un Coin de la salle à manger vu de la suspension, et des légumes qui ne feraient pas mal dans cette même pièce. » R. Le Cholleux, 5 mai 1901, La Revue septentrionale

« Les Etudes d’intérieur, une Etude de fleurs et Le Perron de Mlle Crespel sont d’une touche très large et d’un goût distingué où l’influence anglaise se fait sentir. Un coin de façade, un escalier de pierre avec un vase en forme d’urne à chaque marche, des géraniums épanouis dedans, et au premier plan une abondance habilement arrangée de fleurs et de feuillages, voilà Le Perron, qui est une jolie chose, fraîche et agréable. » Ivan Strannik, Janvier – juin 1902, Art et décoration (avec une illustration du Perron)

« Les panneaux décoratifs de Mme Crespel ont beaucoup de chic, ses Intérieurs ont des faiblesses de dessin, et tout cela est d’un dur ! » R. Le Cholleux, 5 mai 1902, La Revue septentrionale

« Mme Crespel allie beaucoup de goût à beaucoup de vigueur dans ses panneaux de fleurs très décoratifs. Peut-être le dessin en est-il même un peu trop énergique aux yeux de certains ; peu importe, du moment que le sentiment d’art s’affirme ainsi. » Arsène Alexandre, 10 janvier 1903, Le Figaro

« C’est Mme Crespel qui demeure le talent le plus original et le plus vigoureux de cette réunion. Il y a vraiment de l’art dans ses pages qu’elle intitule : la Fenêtre, Panneau de fleurs, Etude de bibelots, Géraniums. » S. Duny, 20 janvier 1903, La Charente

« Toujours égale à elle-même, Mademoiselle Crespel expose des aquarelles : Miroir et vases, Etude de bibelots d’une belle fermeté de dessin et d’une magistrale ampleur. Peu d’artistes ont un sens aussi naturel du décor. » Henry Houssaye, 1903, Le Salon de 1903

« Mme Crespel a une singulière vision des choses ; c’est figé dans des cercles noirs ; par quel temps les fleurs donnent-elles ces impressions ? » Gondy de Seinprez, 5 janvier 1904, La Revue septentrionale

« Nous goûtons peu l’aquarelle fusannée de Mme Crespel qui sait cependant ce qu’elle veut puisqu’elle persiste dans sa manière de faire dans Jardin d’hiver et Coin de jardin. » Gondy de Seinprez, 5 mai 1904, La Revue septentrionale

« Mme Crespel, en des aquarelles singulièrement vives, unit le dessin et la couleur en un équilibre parfait ; c’est à quoi elle tendait depuis quelques années. » Edouard Sarradin, 8 janvier 1905, Journal des Débats politiques et littéraires

« Mme Crespel, d’une main virile, dessine, décorativement aussi, des fleurs et des feuilles, et, dans une excellente nature morte, elle marie d’un style singulièrement large, et en coloriste, le dessin et l’aquarelle ». Edouard Sarradin, 7 janvier 1906, Journal des débats politiques et littéraires

« Plus variée et plus riche en morceaux personnels, la seconde salle renferme des natures mortes et des fleurs où le talent de Mme Crespel se manifeste avec des dons très virils et très décoratifs. » Thiébault-Sisson, 13 avril 1907, Le Temps

« La peinture française y est superbement représentée par MM. Albert Besnard, Gaston La Touche, Lucien Simon, Francis Auburtin, Ferdinand Luigini et Mme Henriette Crespel, dont il est vraiment superflu de louer le talent. » Etienne Charles, 20 février 1908, La Liberté

« Enfin, parmi la profusion des aquarelles et des dessins, on est heureux d’avoir à distinguer la Nature morte aux œillets de Mme Crespel, et Le Rosier, de Mme Jeanne-Lucien Simon. » Pierre Norberg, juillet 1908, Art et Décoration

Nature morte aux œillets

Cette Nature morte aux œillets, exposée au Salon de la SNBA, est reproduite dans Art et décoration de juillet 1908, ce qui permet de la dater.

« Pourquoi Mme Crespel nous donne-t-elle des fleurs aussi boueuses et un crustacé si peu étudié ? » Gérard Verne, 1911, La Revue septentrionale

« Mme Henriette Crespel, dont les natures mortes se signalent par le raffinement extrême de palette. » Henri Frantz, 27 janvier 1914, Excelsior

« Une des artistes-femmes qui, depuis une quinzaine d’années, ont fait voir une personnalité certaine et, sans cesse, de vivants progrès, Mme Henriette Crespel, expose de grandes aquarelles de la plus belle qualité décorative. La largeur du dessin, la riche et toutefois sobre vigueur du coloris, l’équilibre et le goût qui règnent dans chaque composition font de cet ensemble magnifiquement harmonieux une fête qui réjouit l’esprit autant que le regard. D’une branche d’arbre, Mme Henriette Crespel compose, de son dessin viril, un panneau qui unit la grâce et la force, et si l’on voit, d’autre part, comment Mlle Renée Crespel a compris cet enseignement dans la Corbeille aux belles du jour, où il y a temps de délicate fraîcheur avec tant de sens décoratif aussi, on se félicite que la maîtrise de la mère puisse être un jour recueillie par l’enfant. » Edouard Sarradin, 26 mai 1919, Journal des débats politiques et littéraires

« Mme Crespel expose, à l’accoutumée, de puissantes et très décoratives guirlandes de fleurs et de fruits ; son bouquet devant une toile de Jouy m’a semblé particulièrement savoureux. » J.L. Durandeau, 15 avril 1920, Le Crapouillot

« Berthe Crespel, une grande aquarelle de tout premier ordre : c’est une Corbeille de Gaillardies posée sur une console de marbre qui supporte un coffret et des bibelots, le tout devant une fenêtre ouverte sur les arbres d’un parc ou d’un bois. L’ensemble, bien ordonné, a de l’éclat, malgré la prédominance sourde de gris majeurs. » Eugène Soubeyre, 1er mai 1930, La Nouvelle Revue

« Nous ne connaissions pas Mme Crespel ; c’est un superbe talent apparenté, peut-être sans le savoir, à Vernay. » René Brecy, 9 février 1931, L’Action française

Œillets

Henriette Crespel a mené, on le voit, une carrière active, originale et productive. Il est malheureusement difficile aujourd’hui de bien connaître sa vie, ses descendants étant américains, et ses œuvres, dispersées en France et aux États-Unis. Nous ne retrouvons pas non plus ses œuvres dans les salles de vente. La préparation de cet article, commencée il y a un an, a permis de collecter des informations et de recenser quelques œuvres… Souhaitons que ce ne soit qu’un début !
Merci aux collectionneurs privés qui ont permis d’illustrer cet article.

4 réponses à “Henriette CRESPEL (1874-1958)”

  1. Avatar de Maria Dauchez Garrouste
    Maria Dauchez Garrouste

    Merci de mettre en lumière une artiste oubliée de notre famille !
    Quel talent !

  2. Avatar de DAUCHEZ Olivier
    DAUCHEZ Olivier

    Un grand merci pour ce très bel article sur la tante Zézette pour nous avoir fait revivre et pour certain de l’avoir faire découvrir
    Une artiste qui tient solidement bien sa place parmi ses contemporains

    1. Merci, Olivier de nous avoir transmis ce bel article. Nous y sommes d’autant plus sensibles que nous habitons sa maison pleine de souvenirs …
      Marie-Brigitte et Jean-Pierre

  3. Avatar de Céline Guern

    Je vous remercie pour ce partage d’information, je découvre l’artiste et ses talents.
    Céline Guern

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