Pourquoi un article ici sur Maurice Le Liepvre, peintre aujourd’hui oublié ?
André Dauchez a épousé Marie-Thérèse Le Liepvre, sa fille aînée : il était donc le gendre de Maurice Le Liepvre. Tous deux étaient d’origine nordiste, peintres paysagistes, travaillant en plein-air, et particulièrement inspirés par les arbres. Ne poussons pas la comparaison plus loin : si l’un s’est épris de la Bretagne, l’autre a trouvé son inspiration en Touraine, et leurs styles étaient fort différents.
Sa vie
Maurice Le Liepvre naît le 12 janvier 1848 à Lille. Il est le dernier enfant d’Ernest Le Liepvre (1798-1856) et d’Élise Bernard (1815-1853), tous deux issus de familles d’industriels du Nord. Son père a été maire de Loos, près de Lille, où la famille réside ; un de ses oncles, Charles Kolb-Bernard, a été député puis sénateur du Nord. Rien ne prédestine Maurice à une carrière artistique !
Reçu bachelier en 1866, il commence des études de droit. En 1870, guerre franco-prussienne, il est lieutenant dans l’artillerie mobile. Mais le goût pour une carrière artistique l’emporte : il est cousin d’Henri Harpignies (1819-1916), peintre paysagiste, aquarelliste et graveur de l’École de Barbizon, et en sera l’élève. Maurice Le Liepvre habite alors rue du Faubourg Saint-Honoré, à Paris.
Le 28 octobre 1878, Maurice Le Liepvre épouse Marie Liégeard à Orléans. Après un voyage de noces en Italie, le jeune ménage loue un appartement rue Notre-Dame des Champs, au cinquième étage ; l’atelier du peintre est au troisième étage. Le jeune ménage aura quatre enfants.
Sophie Louchard de Boisrenaud, mère de Marie Liégeard, écrit : « Le caractère de ce jeune homme est ouvert et franc, un peu enfant quelquefois, bon et presque toujours aimable. »
Ce mariage permet à Maurice de découvrir la Touraine ; il est conquis par les paysages lumineux de la Loire et de ses affluents. Une maison à Langeais lui permet de parcourir la région pour y chercher sans cesse de nouveaux motifs.
Il meurt le 12 janvier 1897 à son domicile parisien, à l’âge de 49 ans ; sa mort prématurée met un terme à une carrière prometteuse. Il est inhumé au Cimetière du Montparnasse.
Lelièvre ou Le Liepvre ?
A sa naissance, Maurice est né Lelièvre. Il orthographiera ensuite son nom Le Lièvre, puis Le Liepvre. Par jugement du Tribunal civil de première instance de Valenciennes, en date du 9 août 1888, l’orthographe Lelièvre est changée en Le Liepvre, reprise de l’orthographe primitive.
Sa carrière
« LELIÈVRE ou LE LIEPVRE, Maurice – Lille 1848-Paris 1897. Elève de Jean-Paul Laurens, de Mazerolle, de Dubufe et de Harpignies, il montre dans ses premiers paysages une exécution laborieuse, des couleurs dénuées de transparence, mais une évidente sincérité. Puis l’exemple d’Harpignies, plus tard celui de Pissarro se lisent dans les sujets qu’il envoie au Salon de 1877 à 1896 : de vastes études de paysages algériens ou français à la construction robuste, un certain goût pour l’ornement, des silhouettes larges aux contours bien arrêtés. Pas d’effets complexes : des cours d’eau bordés de bouquets d’arbres se profilant sur la clarté du ciel, des forêts noyées dans la brume du soir. Ses dernières œuvres (musées de Pau, de Bordeaux, de Béziers) prouvent un métier maîtrisé dans les vibrations impressionnistes et l’ampleur des formes. » Dictionnaire des Petits Maîtres de la peinture 1820-1920, Gérald Schurr et Pierre Cabanne, Les Éditions de l’Amateur, 2e édition 2008
Maurice Le Liepvre pratique le dessin, l’aquarelle et la peinture à l’huile ; il s’intéresse aussi à l’art décoratif, et réalise plusieurs grands panneaux. Influencé dans sa formation par Harpignies et l’École de Barbizon, puis par les impressionnistes, il évolue progressivement et développe un art personnel.
Les œuvres présentées lors des expositions montrent l’évolution de ses thèmes : de 1877 à 1880, beaucoup de ses tableaux sont des souvenirs d’Algérie, probablement inspirés d’un ou plusieurs voyages chez des amis.
Quelques œuvres sont aussi réalisées lors de séjours chez des amis comme Henri Harpignies (Allier), Jean-Paul Laurens (Yport en Normandie) ou Frédéric Montenard (Méditerranée).
La Touraine et les paysages ligériens deviennent ensuite son thème principal, dans lequel il met en valeur les lumières à différentes heures de la journée, en différentes saisons. Il est particulièrement inspiré par les arbres – peupliers, chênes, saules – et par l’eau – rivières et étangs.
Mais Maurice Le Liepvre n’est pas seulement un peintre de la Loire : parisien, il trouve aussi des motifs dans la capitale, sur les bords de Seine ou au jardin du Luxembourg.
Le Liepvre obtient plusieurs médailles dans les années 1880 et accède alors à une certaine renommée. Il bénéficie d’achats et de commandes de la part d’amateurs, de riches collectionneurs, de l’État et de collectivités publiques. La Ville de Paris lui commande un panneau décoratif pour l’Hôtel de Ville (Un coin du Luxembourg, 1891).
Dans les catalogues des salons et expositions, plusieurs peintres indiquent avoir eu Le Liepvre comme professeur.
Expositions
Maurice Le Liepvre expose au Salon des Artistes Français de 1877 à 1896 et, en 1897, à titre posthume. Il reçoit une mention honorable en 1881 pour Actéon, obtient une médaille de 3e classe en 1886 (Sur la levée de la Loire à Baule), devient Sociétaire des Artistes Français en 1887, et reçoit une médaille de 2e classe en 1890 (La Loire).
Il reçoit une médaille d’argent à l’Exposition universelle de Paris en 1889, et une « deuxième médaille » à Anvers en 1893.
On relève aussi sa participation à d’autres expositions parisiennes (Cercle de l’Union artistique, Société internationale de peinture et de sculpture, Société de Saint-Jean), à de nombreuses expositions en province (Sociétés des Amis des Arts, Unions artistiques…), en Belgique (Bruxelles, Anvers, Gand), à Chicago.
Après sa mort, des expositions rétrospectives sont organisées en 1897 à Paris, Lille, Orléans, Valenciennes. Des tableaux sont aussi présentés à l’Exposition universelle de Paris en 1900 (rétrospective 1800-1889), et à l’Exposition d’art français à Montréal en 1909.
Plus récemment, des toiles ont été exposées à Paris (2004), Vendôme (2010), Tours (2017 et 2020).
« Parmi les peintres du Nord les plus remarqués, il faut citer un nouveau venu, M. Maurice Lelièvre, dont les paysages orientaux sont depuis quelques années très goûtés des connaisseurs. […]. Il n’en faut pas davantage pour faire une œuvre de grand mérite, M. Lelièvre nous l’a prouvé. On revient attiré par cette toile après qu’on l’a quittée. » 24 juillet 1878, Le Progrès du Nord
« Pour plus d’une raison, M. Le Lièvre fait penser à M. Montenard et je crois guère pouvoir lui adresser de meilleur éloge. Il nous est arrivé souvent d’avoir à féliciter cet artiste, l’hiver, durant les expositions de cercles ; ses paysages du Midi ne nous obligeront pas à nous rétracter. M. Le Lièvre a fait sur sa palette provision d’une bonne dose de vrai soleil et ses toiles donnent chaud rien qu’à les voir. » Roger Marx, 13 juin 1884, Le Progrès artistique
« M. Maurice Lelièvre, dont l’exposition est tout à fait remarquable et qui se révèle comme un paysagiste de grand avenir. » Th. Bergès, 5 mai 1886, Le Progrès du Nord
« Le pré de la Chesnaye, par M. Lelièvre. Sans démenti, même sans conteste possible, c’est l’un des plus remarquables paysages de l’année […]. M. Lelièvre procède par masses, à la façon de maître Harpignies. Son dessin a beaucoup de volonté et d’ampleur, sa touche, un peu brusque, beaucoup d’énergie et de conviction, et je ne trouve point à reprendre à sa couleur très vraie, très sincère, d’une belle pâte ; avec cela un vif sentiment de l’art, un grand respect de la nature, voilà, en résumé, les qualités du peintre. » Olivier Merson, 30 avril 1889, Le Monde illustré
« Il serait difficile de dire si c’est un plus grand honneur pour Maurice Le Liepvre d’avoir eu pour maître Harpignies, ou pour Harpignies d’avoir produit un élève tel que Le Liepvre. Les trois toiles de cet artiste qui ont figuré à notre Exposition justifient de tous points la grande réputation qu’il s’est acquise comme paysagiste. […] Toutes les valeurs se détachent vigoureusement, sans dureté, cependant. Nous retrouvons chez Maurice Le Liepvre l’esprit de synthèse d’Harpignies caractérisé par la sobriété des lignes avec un peu moins de légèreté et un peu plus de chaleur de coloris. » L. Piérard, 1er novembre 1890, La Revue agricole, industrielle et littéraire du Nord
« Nous voilà à un beau morceau de couleur, une étude, une pochade, un rien. Mais ce rien est de M. Le Liepvre. Combien cette modeste tranche de nature est savoureuse ! la belle loyauté modeste ! la charmante virtuosité dédaigneuse ! M. Le Liepvre est un des plus savants dessinateurs de notre époque, et il fait de sa science de dessinateur l’humble servante de son pinceau de coloriste. C’est cette science qui lui donne la liberté admirable grâce à laquelle il jette, d’un coup, sur sa toile, la touche hardie dont il exprime sa vision. Aussi, quelle spontanéité, quelle intensité et quelle justesse de rendu ! » 15 juin 1894, Le Messager des Charentes
« Toutes ces œuvres forment un ensemble des plus intéressants. Cet ensemble permet de se rendre compte et du grand talent de l’artiste regretté et de sa manière si simple et de la variété qu’il a mise dans un genre qui paraît prêter si fort à la monotonie : le paysage.
Les paysages de Le Liepvre sont vigoureusement peints, en pleine pâte, avec des oppositions de touche très légères, effleurant si peu la toile, que celle-ci, par endroits, transparaît telle quelle.
Quelques fusains ne sont que des études, mais ils montrent quelle conscience apportait l’artiste dans son travail ; d’autres fusains, achevés, sont d’une rare finesse ; enfin, les aquarelles ne sont pas inférieures aux peintures, tant s’en faut ! C’est une excellente idée que d’avoir organisé cette exposition d’un artiste admirablement doué et qui vient de mourir en pleine possession de son talent. » 24 mai 1897, Le Grand Écho du Nord de la France
« Original, Maurice Le Liepvre l’est incontestablement. Il a une touche très personnelle, une note bien à lui. Elève de J.-P. Laurens et d’Harpignies, il s’est de bonne heure préoccupé de ne point enfermer son talent dans la formule de ses maîtres et de donner libre cours à son inspiration propre.
Il y a quelques dix ans, des critiques prompts à conclure annonçaient qu’il passait, avec palette et pinceaux, dans le camp de Monet et de Renoir. […] Il n’est que de s’entendre. Le Liepvre a fait, certes, de l’impressionnisme et du meilleur. Il a saisi la nature sur le vif, en des notations rapides, simples, un peu sommaires parfois, qui donnent à quelques-unes de ses œuvres un très séduisant caractère d’improvisation, mais, à aucun moment, il n’est tombé dans les exagérations souvent si ridicules des Signac, des Seurat, des Pissarro, à plus forte raison de monsieur Gauguin.
Maurice Le Liepvre a pris à l’impressionnisme certaines innovations, assurément heureuses. Ses touches brusques et crues paraissent, vues de près, en de certains tableaux, n’avoir aucun rapport les unes avec les autres et l’on est tenté de se demander s’il n’y a pas là incohérence voulue, parti-pris de violence et de heurt. Mais éloignez-vous un peu et vous verrez cette décomposition des couleurs qui vous a surpris un moment, se recomposer, à distance, en un tout harmonieux. Et vous comprendrez tout de suite combien le mélange optique, le mélange sur la rétine, est supérieur au mélange matériel et longuement préparé sur la toile.
Tel est, grossièrement analysé, le procédé, si le mot n’est pas insuffisant, de Maurice Le Liepvre. Mais avec quelle sobriété, quelle discrétion et quelle justesse il en use !
On en pourra suivre, dans cette exposition, le développement et les progrès. » Em. F. 18 juin 1897, Le Grand Echo du Nord de la France
Musées
Des œuvres de Maurice Le Liepvre sont aujourd’hui conservées dans plusieurs musées de France :
Bayonne, Musée des Beaux-Arts – Musée Bonnat-Helleu
Une source, huile sur toile, 202×304
Une source, étude, huile sur toile, 28,5×55 (non inventorié, information transmise par Madame Horiot-Ortega, Responsable du Centre de documentation et de l’informatisation des collections, en mars 2023).
Bordeaux, Musée des Beaux-Arts
Paysage, huile sur toile, 46,5×56
Le printemps, avril, paysage, huile sur toile 150×200
Paris, Le Louvre
Une source, dessin
Paris, Musée d’Orsay
Soleil de mars, 1895, huile sur toile, 204×234
Paris, Musée des Beaux-Arts – Petit Palais
Esquisse pour l’escalier des fêtes de l’Hôtel de ville de Paris, 1891, aquarelle, 30×60
Pau, Musée des Beaux-Arts
Sur la levée de la Loire à Baule, 1886, huile sur toile, 180×220
Remarque : le titre original est bien Baule, commune du Loiret sur les bords de la Loire, et non La Baule, en Loire-Atlantique, où ne passe pas la Loire.
Tours, Musée des Beaux-Arts
La Loire, 1890, huile sur toile, 213×300 (ce tableau est accroché à l’Hôtel de Ville de Tours, dans le cabinet du Maire).
Les bords de la Cisse, huile sur toile, 271,5×426
Les bords de la Cisse, huile sur toile, 270×346
Les bords de la Cisse, huile sur toile, 270x ?
Les bords de la Cisse, huile sur toile, 270x ?
Les bords de la Cisse, huile sur carton entoilé, 52×146,5
Paysage avec deux faneuses, ou Fenaison, huile sur toile, 54,4×49
Paysage de Loire, ou Bords de Loire, mouettes, huile sur toile, 32,5×57,5
Paysage, huile sur toile, 50×65
Route en bord de Loire, huile sur toile, 33,5×55,5
Paysage, huile sur toile, 38×55
Paysage, huile sur toile, 38,5×56
Vue de Paris, huile sur toile, 31×48,5
Cygnes sur un étang, huile sur toile, 114×147
… et peut-être aussi à Béziers, Orléans, Bruxelles, Chicago…
Si vous connaissez d’autres musées, ou si vous-mêmes avez des œuvres de Maurice Le Liepvre, n’hésitez pas à nous contacter !
En complément de cet article, voir aussi la page Wikipédia.
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