« André Dauchez – Un homme simple et vigoureux… Son bras a poussé l’aviron et mâté la voilure par gros temps. Le hâle et l’embrun ont tanné ce visage ; la contemplation de la mer a élargi ses larges yeux doux. Ils embrassent l’immensité, ils s’appuient sur l’horizon. Les grands espaces leur sont habituels et nécessaires : l’étendue stérile de la mer et celle, encore plus dénuée, des landes rousses.
André Dauchez n’a pas dessiné la Bretagne en voyageur. Il la connaît, il l’aime comme ceux qui y sont nés et qui y vivent. On dirait qu’il a pris dans ses mains la terre de ce pays, qu’il l’a remuée, flairée, goûtée pour en apprécier avec tant de justesse la composition, la couleur, la densité, la saveur…
Je le vois, par un matin frais, remontant sur sa petite barque quelqu’un de ces courants d’eaux basses qui le mènent, par des sinuosités pleines de surprises, au cœur d’une oasis d’arbres et de verdure, où le voici, tout enivré de solitude, face à face avec la nature. Il déploie sur ses genoux son album, cligne de l’œil vers une échappée sur la plaine, entre des branches, et son crayon, attaquant la page, y décrit toute une contrée blonde, que bornent, au loin, de petites maisons. Il rentre quand il a faim. Sa maison est pleine de rires et de voix. Et, sur le seuil, toute une marmaille amoureuse de lui l’accueille. »
— Albin Valabrègue, 24 mars 1909, Le Gaulois
André Dauchez n’a pas de voiture : en Bretagne, il se déplace à pied, à bicyclette ou en bateau ; il en aura successivement cinq, qu’il utilise pour se promener, partir en croisière, courir des régates avec certains d’entre eux, et pour rechercher des motifs tout au long des côtes bretonnes, dans les rivières et sur les îles. Aux escales, il parcourt les environs, dessine et peint.
Le premier bateau est le Sprat, en 1901, petit canot de 5 m environ, gréé d’une voile. Il ne permet guère que de remonter l’Odet, et de longer les côtes.
Vient ensuite l’Aventure, en 1910, cotre de 8,50 m ; mais ce bateau est trop petit, André Dauchez veut emmener en croisière Marie-Thérèse et leurs six enfants.
Il fait alors construire à Concarneau, en 1912, la Rose des Vents, thonier de 22 m aménagé pour la plaisance. Si ce bateau ne se prête bien sûr pas aux régates, il laisse aux enfants de merveilleux souvenirs de croisières… Après la guerre, les conditions économiques ont changé, André Dauchez peine à trouver des hommes d’équipage… En 1921, il doit se résoudre à vendre la Rose des Vents.
En 1923 est construite à la Rochelle l’Embellie, bateau plus modeste de 10,35 m. Les six aînés sont grands, ce sont les deux derniers, Luc et Luce, que les parents emmènent le plus souvent à bord. Mais André juge les performances décevantes…
La Grande Ourse, 14 m, est construite à Quimper, et mise à l’eau en 1930. André Dauchez prend à nouveau part à des régates et des courses croisières, avec succès. Il tient un journal de 1930 à 1939 où il décrit de façon très détaillée la vie à bord, ses périples, ses recherches de motifs, les dessins et études qu’il fait. La Grande Ourse, réquisitionnée par les Allemands en 1940, sera son dernier bateau.
« Voyez-vous, le secret pour tendre vers une œuvre forte et vraie est de se sentir humble devant la nature. N’essayez pas de faire le malin avec elle, car vous seriez fichus. Elle est plus forte que vous. Je dois cependant vous confesser qu’il m’arrive de ruser pour obtenir tout ce qu’on peut attendre d’elle.
Je vais tout d’abord la surprendre chez elle, dans ses replis les plus intimes, là où la solitude est la plus complète et l’étendue la plus lointaine. Ce n’est d’ailleurs pas facile d’y arriver et je suis obligé, la plupart du temps, de faire appel à mes connaissances de la navigation. Je pars le matin en bateau et je me dirige au gré de l’aventure. Je ne montre aucune velléité de dérober un spectacle ; je dirige subrepticement mon yacht dans une cavité déserte, je m’insinue dans une échancrure de la côte et tout à coup je surprends une composition admirablement ordonnée, telle que nulle imagination humaine n’en saurait inventer.
Alors, saisissant ma palette, je fixe aussi vite que possible et sans m’occuper du dessin, la couleur qui étale devant moi sa magnificence, l’atmosphère qui m’emplit d’une sorte d’ivresse, toute la vie en un mot qui palpite dans les arbres, dans les eaux, dans les ciels. Je n’ai plus ensuite qu’à prendre aussi minutieusement que je le puis, avec le crayon cette fois, le squelette de mon sujet, je reporte sur le papier avec une précision rigoureuse et sèche tout ce que je vois, et, le soir, je rentre chez moi, heureux d’avoir pu soustraire les documents qui me permettront de reconstituer à l’atelier, pendant l’hiver, les tableaux que je vais exposer. »
— André Dauchez, 1926